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Dans tous les domaines, certains éléments se détachent par leur caractère singulier. Un je-ne-sais-quoi qui fait basculer l’ordinaire vers l’exceptionnel sans vraiment forcer. Ce mois-ci, Lost Projects vous emmène à la rencontre de son Alpha et Omega, du boss final du development hell : Superman Lives.
Nous sommes en 1987. Après avoir atteint le point de non-retour avec Superman IV, navet cosmique et échec retentissant à tous les niveaux, Warner Bros décide de mettre sa franchise phare en stand by. Mais un événement éditorial va rapidement changer la donne. The Death of Superman, publié en 1992, fait l’effet d’une bombe dans le petit monde encore balisé de la communauté comics. La disparition (puis la renaissance) de l’homme d’acier ravive l’intérêt du public et donne à WB ce qu’ils n’attendaient plus : un prétexte pour relancer la saga avec de fortes perspectives de merchandising à la clé.
Fort des succès récents de Batman et Batman Returns, WB confie les clés du camion au producteur Jon Peters, qui partage avec eux une approche business tournée essentiellement vers l’idée de développer une franchise assez large pour concurrencer Star Wars sur le marché juteux des produits dérivés. Premier pas vers le renouveau de l’homme d’acier et première erreur d’appréciation.
Malgré ses qualités certaines de businessman, Peters ne pipe rien à la mythologie Superman et se laisse prendre au piège de la facilité, en ciblant à peu près tous les exécutifs qui lui tombent sous la main pour permettre au projet de se faire rapidement.
C’est le scénariste débutant Jonathan Lemkin qui est choisi pour pondre une première version du script. Intitulé Superman Reborn, ce premier jet est un ratage dans les grandes largeurs. Centré sur la love story entre Clark et Lois, l’histoire présente maladroitement la renaissance de Superman au travers d’allégories religieuses telles que la passion christique et l’immaculée conception. Un parti pris émotionnel qui fait bien évidemment bondir Peters qui débarque Lemkin aussi sec.
Deuxième tentative avec Gregory Poirier (futur auteur de Benjamin Gates) qui accouche d’un script fortement inspiré de Star Wars avec la découverte par l’homme d’acier de nouvelles capacités liées à la maitrise du « Phin-Yar » une sorte de force spirituelle qui permet au Kryptoniens de décupler leurs pouvoirs. Mouais.
Voyant le projet prendre l’eau de toute part avant la pré-production, WB décide de changer son fusil d’épaule et appelle en renfort un véritable auteur, et accessoirement fan de comics, l’excellent Kevin Smith (Clerks, Chasing Amy). Horrifié par le script de Poirier qui ne respecte et ne comprend aucunement ce qui faisait la sève de Death of Superman, Smith arrive à faire prendre conscience aux décideurs d’abandonner leur idée première de faire de ce nouvel opus un Star Wars en puissance.
Après concertation, le papa de Clerks est embauché au scénario à la condition de laisser Peters comme unique décisionnaire de l’orientation artistique du futur film. En août 1996, alors que le processus d’écriture est déjà bien engagé, Peters impose des conditions pour le moins farfelues : Superman devra porter un costume noir, ne devra pas voler et aura un affrontement épique avec une araignée géante. Accordé.
Malheureusement, les exigences du producteur ne s’arrêtent pas là. Peters, décidément fâché avec les bêtes, imagine un combat entre l’homme d’acier et un ours polaire dans la forteresse de solitude et un Lex Luthor réduit au rang de laquais de Brainiac. Visiblement emballé par le ton décalé de Chasing Amy, il propose également à Smith de faire de L-Ron, le sidekick robot de Brainiac, une sorte de « R2-D2 gay ».Kevin Smith s’insurge mais s’engage à intégrer la plupart de ses éléments dans son travail. Au final le script est satisfaisant et aurait pu se présenter avec le recul comme la plus fidèle adaptation à la mythologie Superman.
Le pitch ? Brainiac bloque les rayons du soleil pour annuler les pouvoirs de Superman et envoie Doomsday pour le tuer avec l’aide de Lex Luthor. Alléluia ! Parallèlement au travail de Kevin Smith, Peters enclenche les grandes manœuvres pour dénicher un réalisateur avec les épaules assez larges pour mener le projet à bien. Fort de leur expérience commune sur les deux Batman, le producteur parvient à convaincre Tim Burton de s’installer aux commandes. La hype est lancée, et le monde entier attend désormais de découvrir ce Superman Lives, qui s’annonce incroyable.
Peu de temps après, les producteurs déclarent avoir trouvé l’acteur idéal pour incarner l’homme d’acier : Nicolas Cage. Fan absolu de comics et plus précisément de Superman (son fils s’appelle Kal-El, true story), Cage s’engage corps et âme dans le projet, soutenant Burton dans toutes ses décisions. A propos du film, il déclare d’ailleurs en 2013 :
“Je pense que j’étais dans une situation gagnant-gagnant. Parce que ce personnage est une espèce de gros lot : tu te dois de l’emporter. Superman est l’une des icônes les plus précieuses de notre pays. »
Après avoir demandé une réécriture du script au scénariste Wesley Strick (Cape Fear, Wolf) et évincé Kevin Smith de manière peu élégante, Tim Burton engage la pré-production du film à l’été 1997. Le département artistique s’active et Burton choisit Pittsburgh pour donner corps à la nouvelle Metropolis. L’objectif avoué est de sortir le film l’été suivant, pour les 60 ans du super-héros.
Les premiers croquis de Tim Burton et de son directeur artistique Ralph Mohr laissent augurer un univers très proche des comics de l’époque, avec un traitement à la fois pop, sombre et arty comme le précise ce dernier : Pour les designs le mot d’ordre était de donner un look imposant, monumental -avec comme influences l’expressionisme et les premiers futuristes italiens…”. Un Superman post-moderne en somme qui n’aurait pas fait tache dans la filmographie bigarrée de Burton.
Pour le reste du cast, bon nombre d’acteurs de premiers plans sont envisagés : Kevin Spacey (Luthor), Courteney Cox (Lois), Tim Allen (Brainiac) et même Michael Keaton dans un possible cameo de Batman. Mais malheureusement la machine s’enraye à nouveau à cause du scénario de Strick jugé trop cher à mettre en œuvre. Cinquième tentative de réécriture avec Dan Gilroy (Chasers) et enlisement total.
Au printemps 1998, Burton n’a qu’un storyboard incomplet et un photo shoot, pour le moins discutable, de Cage en costume à présenter a Warner Bros. Le tout pour une dépense globale avoisinant les 30 millions de dollars. Le réalisateur de Edward Scissorhands excédé, part donc se calmer sur un autre projet qui deviendra paradoxalement l’un de ses plus beaux métrages, Sleepy Hollow. Il abandonnera quelques mois plus tard en déclarant symboliquement
« J’ai fait le film, ils ont juste oublié de le tourner. »
Fin 98 Superman Lives amorce donc à grand pas sa descente dans le development hell. Il connaîtra quelques soubresauts jusqu’en 2000, moment choisi par Nicolas Cage pour définitivement jeter l’éponge. Au total, la bête aura épuisé 7 scénaristes (après Gilroy, ont suivi William Wisher et Paul Attansio) et 3 réalisateurs (Burton puis Brett Ratner et McG) pour devenir l’un des projets avortés les plus célèbres de l’histoire du 7ème art. Les conclusions à tirer de cet echec sont nombreuses et ont donné lieu à l’excellent documentaire The Death of “Superman Lives”: What Happened? sorti en 2015.
La raison la plus souvent avancée est l’absence d’une ligne artistique bien définie tout au long de la gestation du métrage. Des virages et changements intempestifs qui auront en définitive eu raison de la bonne volonté de chacun. Sans oublier les photos de Nicolas Cage en costume.
Oui surtout les photos de Nicolas Cage en costume.
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