La recommandation de Timo
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Comme souvent à Hollywood, la vérité d’un jour n’est pas forcément celle du lendemain. Et dans l’usine à rêves plus que nulle part ailleurs, les projets les plus alléchants deviennent des mirages éphémères. Pour ce troisième numéro, Lost Projects revient sur une tragédie : la vie et la mort du très prometteur Batman: Year One de Darren Aronofsky. Sortez les mouchoirs !
Apres le cataclysme provoqué par Batman & Robin tant au niveau des réactions critiques que publiques, Warner Bros., propriétaire de la franchise, décide de rapidement relancer la machine. Bien conscient que son film bigarré et kitsch a été à deux doigts d’enterrer définitivement les aventures du chevalier noir au cinéma, Joel Schumacher ne lâche pas le morceau et promet de rectifier le tir en livrant une toute autre version de l’homme chauve-souris.
Son envie ? Mettre en scène l’adaptation du comics culte de Frank Miller et David Mazzuchelli, Batman: Year One. « J’ai bien conscience d’avoir déçu un grand nombre de fans avec l’aspect familial de mon précédent film. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que le studio a reçu pendant de nombreuses années de milliers de lettres de parents réclamant un Batman que leurs enfants pourraient voir. Aujourd’hui, c’est aux fans, aux vrais, que j’ai envie de m’adresser ».
L’intention est louable mais le mal est fait. La réputation désastreuse du précédent opus ne cessant d’enfler au fil du temps, Schumacher est remercié par Warner Bros. qui se met aussitôt en tête de trouver un réalisateur pour ce nouveau projet. C’est à l’été 1999 qu’ils tombent sur la perle rare, un jeune cinéaste new-yorkais très prometteur, Darren Aronofsky. Fraîchement auréolé du succès critique de son premier film (Pi, 1998), Aronofsky se la joue farouche et impose ses conditions avec humour.
« Je leur ai dit que je voulais Clint Eastwood en Batman et que je ne tournerais pas le film ailleurs qu’à Tokyo, la doublure parfaite de Gotham pour mon projet».
Les pontes de la Warner en restent cois mais apprécient l’audace et l’intelligence de ce Bat-fan avoué. Si l’idée première d’Aronofsky était d’adapter The Dark Knight Returns de Frank Miller, il se laisse convaincre par les producteurs de s’orienter vers Year One, un terrain tout aussi fertile pour sa vision du chevalier noir doublé d’une origin-story qui remettra la franchise sur de bons rails.
Pour comprendre l’intérêt de porter Batman: Year One sur grand écran après les délires camp de Schumacher, il faut se pencher sur son histoire.
Le comics s’ouvre sur l’arrivée de Gordon à Gotham et le retour de Bruce Wayne, dix-huit ans après le meurtre de ses parents. Toute l’idée du récit est de créer un parallèle entre les actions des deux personnages pour endiguer la criminalité de Gotham. Nous suivons donc un Bruce Wayne qui commence à mener sa double vie de playboy le jour et de justicier la nuit ainsi qu’un Gordon qui entre en guerre contre la corruption qui gangrène toutes les institutions. L’enjeu principal de Year One est de montrer le cheminement de Gordon et de Bruce Wayne pour se doter des attributs qui formeront les socles de leur collaboration légendaire. On y apprend donc comment le commissaire est devenu parfaitement incorruptible, et ce malgré une affaire d’adultère qu’il aurait pu étouffer pour sauver son mariage. De même, on assiste à la naissance de l’alter-ego de Bruce, à travers une série d’épreuves dans les sombres ruelles de Gotham.
Cette histoire sombre et bourrée de symboles semble être le matériau idéal pour redonner au chevalier noir ses lettres de noblesse dans les salles obscures. A ce sujet Aronofsky déclare :
« Après la farce qu’était devenu Batman au cinéma, j’avais l’opportunité d’apporter tout le contraire. Je voulais faire revenir le personnage dans la crudité des rues en s’appuyant sur une forte notion de réalité. Je voulais tourner le film sans plateau, dans des rues diverses de grandes villes américaines pour créer un sentiment de réalisme total ».
L’idée est alors toute trouvée : faire un Batman en forme d’hommage aux vigilante movies des années 70 comme Death Wish ou The French Connection. Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que ce sont les classiques de ce genre qui ont inspiré à Frank Miller la relecture de ses personnages. On peut voir en Gordon un double de papier du Serpico de Sidney Lumet ou interpréter les actes de Bruce Wayne au regard de ceux de Travis Bickle, le Taxi Driver de Martin Scorsese.
Autre aubaine pour le studio, Miller et Aranofsky se connaissent et s’apprécient, ayant déjà travaillé ensemble sur le projet d’adaptation d’un autre comic-book, Ronin. De ce fait, Warner leur commande immédiatement un scénario qu’ils rédigeront à quatre mains. De manière surprenante, les deux compères prennent beaucoup de libertés avec le matériau d’origine voire même avec la mythologie Batman.
Pour commencer, le script élude d’emblée le statut d’héritier de Bruce, pour le placer dans la rue sous l’égide de Big Al, un garagiste afro-américain de Gotham. En compagnie de Little Al, le fils de ce dernier, il grandit en observant la dure réalité de l’East End : les prostitués, proxénètes, criminels et mafieux en tout genre. De son côté le jeune Gordon lutte avec la corruption qui devient endémique chez les policiers de tous grades. Le premier acte de Bruce en tant que justicier sera de s’opposer à Campbell, un officier corrompu qui tente d’agresser une certaine Selina dans un endroit appelé Cathouse. Le policier est pris dans une rixe et finit par se faire tuer. Conscient de la nécessité d’agir avec plus de méthode et de discrétion, il se munit d’une cape et d’un masque de hockey pour ses virés nocturnes. Bien entendu, le costume évoluera au fil de l’histoire, en parallèle de l’ascension de ses actions contre le crime.
Une histoire secondaire suit également les exécuteurs testamentaires de la famille Wayne à la recherche de Bruce. Quant à Gordon, il n’est pas en reste avec une place prépondérante dans le déroulé de l’histoire et des scènes marquantes à la pelle.
Pour Darren Aronofsky, le développement du personnage est l’une des clés du projet : « nous avons voulu reprendre le Gordon du comics car il était remarquable. Pour la première fois, il apparaissait comme un personnage bad-ass et torturé. Il devait d’ailleurs ouvrir le film, assis dans des toilettes insalubres avec le canon d‘un flingue dans la bouche et six balles dans la main ».
Tout un programme.
Pour ce qui est des points communs entre le comics et le script, ils sont nombreux. Le film devait comprendre une narration de Bruce Wayne (à mi-chemin entre Taxi Driver et le Rorschach de Watchmen), un morceau de bravoure de Gordon lors d’une prise d’otage, une Selina pré-Catwoman, l’enquête de Gordon sur l’identité du Bat-Man et ses soupçons portés sur Harvey Dent. Mais ce qui aurait dû rapprocher les deux œuvres au maximum, c’est leur réflexion commune sur le thème de la justice et de la posture de l’homme vis-à-vis de la loi.
Dans l’une de ses rares interviews, Frank Miller est revenu sur son travail avec Aronofsky : « Darren est assez incroyable, il a une idée à la seconde. Nous avons pris beaucoup de plaisir à travailler ensemble. C’était assez drôle car j’étais celui avec les idées les moins noires, et je n’ai absolument pas l’habitude de ça ! Darren estimait que Batman : Year One aurait fait ressembler la version de Burton à un Disney ! »
Cette volonté de rompre avec la tonalité des opus précédents n’est pas pour déplaire à Warner Bros. mais le mélange de réalisme et de noirceur émanant du travail des deux compères aura raison du projet.
« Je pense que Warner a toujours su que c’était une vision qui ne leur conviendrait pas. Je le pense sincèrement car quand tu as des enfants de 4 ans qui achètent des produits Batman et que tu prends le risque de sortir un film comme celui-là, l’incompatibilité est totale, et ils tenaient vraiment à leur PG property. (..) Mais ils ont tout de même été courageux de nous laisser développer le projet jusqu’à ce point, Et Frank et moi étions très heureux du travail accompli. »
Clap de fin donc pour un projet qui s’annonçait comme fantastique et qui a seulement eu pour effet de plonger la chauve-souris dans les limbes hollywoodiennes pendant près de 8 ans. Et au regard de la teneur de Batman Begins (Christopher nolan, 2005) et de ses suites, on se demande bien pourquoi le chevalier noir n’a pas eu le droit de retrouver sa ténébreuse splendeur un peu plus tôt. Snif.
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