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Gare à celui qui s’aventure sur le chemin tortueux des songes, car il risque de s’y perdre. Ce mois-ci Lost Projects s’attaque à une tentative d’adaptation devenue arlésienne : Sandman. Où l’histoire fascinante d’un projet qui résiste à Hollywood et ses réalités. Dream, a little dream…
The Sandman est une série de comics publiée par DC puis Vertigo durant les années 80 et 90. Son récit est centré sur Dream, un personnage avec une multitude d’identités (The Sandman, Morpheus, Oneiros, Lord L’Zoril…) que l’auteur Neil Gaiman utilise pour personnifier les rêves. La série traverse un grand nombre de mondes imaginaires et mythologiques d’inspiration universelle et multiculturelle (nordique, celte, arabe, japonaise..) et se présente comme une sorte d’antithèse aux récits de super-héros classiques. Etirée sur 17 ans et 75 numéros, l’histoire de Sandman peut être considérée comme l’une des plus atypique jamais conçue pour un comic book.
Laissant de côté toute idée de construction narrative traditionnelle, Gaiman élabore des récits en forme de standalone qui s’articulent très souvent autour de la notion de rêve. Plutôt qu’une progression linéaire qui suivrait l’évolution de son personnage central, Sandman nous propose donc des histoires fragmentées sur des sujets incroyables comme les rêves d’un chat, ou Lucifer quittant les enfers pour un monde meilleur. Bien évidemment cette complexité narrative est difficilement compatible avec les standards hollywoodiens actuels, d’autant plus que l’œuvre au complet ne fait pas moins de 2000 pages.
Mais il en faut plus pour effrayer un producteur aux dents longues et au moment où l’idée d’adaptation fût lancée Gaiman déclara d’emblée :
“Adapter Sandman se serait comme prendre un bébé, lui couper les deux bras, une jambe et le nez et essayer de le faire rentrer dans une petite boite en remplissant le reste de viande bon marché . “
Autant dire que l’ami Neil est moyennement emballé par l’idée.
Pourtant un scénario verra le jour au début des années 2000 sous l’impulsion de Warner Bros. qui mise sur le potentiel visuel de l’œuvre. C’est le duo Ted Elliott et Terry Rossio (The Mask of Zorro, Godzilla) qui s’y colle sous la supervision du chevronné Roger Avary (Pulp Fiction).
Étonnamment le script plait fortement à Gaiman, qui change son fusil d’épaule. Pourtant, les émissaires du studio jugent le résultat infaisable car l’histoire ne laisse aucune place à d’éventuels placements de produits. Oui oui.
Pour relancer la machine, le producteur délégué Jon Peters impose quelques idées qui horrifient immédiatement Gaiman et Avary. Le futur film comprendra, entre autres joyeusetés, une séance d’incantation au milieu d’une teenage party où Dream est invoqué par des ados gothiques et une scène d’affrontement se déroulant dans une rave party trance. Merci Matrix.
Mais le pire est atteint quand Peters impose au personnage principal de porter une cape et des collants et d’insister pour qu’il se batte. Horreur et damnation pour toute personne un tant soit peu familier avec l’univers de Sandman et fin des débats pour les deux parties. Les différences de point de vue créatifs désormais irréconciliables, cette première tentative d’adaptation passe très vite à la trappe. Mais c’est mal connaitre le studio que de croire que les producteurs en resteront là. Ils engagent un an plus tard un yes man maison, William Farmer, pour élaborer une toute nouvelle version en accord avec leur cahier des charges.
Non connaisseur du comics, Farmer se rend très vite compte de l’immense difficulté de sa tâche. En effet, la structure très éclatée de Sandman ne permet pas de dégager un réel antagoniste à Dream, c’est à dire un personnage capable de le soumettre à une série d’épreuves qui le ferait évoluer et le placer dans une posture de héros hollywoodien. En lieu et place, le comics regorge de situation aux tournures tragiques et de personnages aux destins brisés. Même un bad guy bien identifié comme The Corinthian, personnage avec des dents à la place des yeux, se présente comme incompatible a toute tentative de portage réaliste.
Pour couronner le tout, aucune intrigue amoureuse ne peut émerger d’univers aussi sombre et désespéré. Malgré le fait que Dream ait au cours du récit eu une histoire avec une mortelle, cette dernière s’achève avec la destruction d’une ville entière et la condamnation de la belle aux enfers. Farmer livre tout de même une nouvelle version avec des éléments de son cru (Corinthian en méchant CGI et une fin osef où l’on apprend que tout était un rêve). Mais les producteurs ne sont pas convaincus et le projet retombe dans les limbes. Ouf, on souffle un peu quand même.
Il faudra attendre 2010 pour que Sandman ait à nouveau les faveurs des studios. C’est HBO qui fait le premier pas vers Warner pour porter le titre sur le petit écran avec le concours de Eric Kripke, l’homme derrière la série Supernatural. Une fois de plus, les discussions tournent cours et le projet semble plus que jamais maudit. Mais c’est mal connaître l’entêtement des décideurs hollywoodiens, qui aiment plus que tout s’attaquer à des projets qui leur résistent.
En 2015, le studio New Line récupère les droits d’adaptation de Sandman. Immédiatement le nom de Joseph-Gordon Levitt, fan de la première heure du comics, est associé au projet, ainsi que celui de David S. Goyer producteur et scénariste de la trilogie Dark Knight . Le film semble enfin sur de bons rails, Gordon-Levitt se déclarant même partant pour endosser la double casquette de réalisateur-acteur. Autre bonne nouvelle, le légendaire Eric Heisserer (The Thing, Nightmare on Elm Street ) est embauché au scénario.
Mais en 2016, patatra, le projet s’écroule à nouveau avec les désistements successifs des deux compères suite à de nouvelles divergences de points de vues avec le studio. C’est Gordon-Levitt qui aura le dernier mot sur cette nouvelle déconvenue :
“J’ai fini par réaliser que les gens de chez New Line ne voyaient vraiment pas ce qui rendait Sandman si spécial, et c’est bien dommage.”
A l’heure actuelle, le film est toujours dans les cartons mais plus que jamais au point mort. Et c’est peu dire qu’il a définitivement rejoint les rangs des projets les plus maudits d’Hollywood.
Mais est-ce vraiment une si mauvaise chose? Après tout Sandman est et restera toujours pour ses fans un magnifique objet de fantasme. It was all a dream…
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