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Alors que la neige se met enfin à tomber sur nos belles contrées, c’est une grêle de bastos qui s’est abattue sur New York le mois dernier. Après avoir ouvert et exposé à vif le psyche du Punisher dans la saison 2 de Daredevil, Netflix a opté pour le pari risqué de dédier une série à l’antihéros le plus sanguinaire de l’univers Marvel.
Suivant de près la sortie de The Defenders – criblé par les spectateurs – Frank Castle porte sur ses épaules la responsabilité de reconduire l’attention des fans vers l’univers étendu des séries Marvel sur la plateforme de streaming. Héros apathiques, récits cotonneux et narration systématique voire codifiée, comment The Punisher réussira-t-il réussi à faire couler un peu de sang neuf sur les récentes adaptations de Netflix ?
L’action se déroule plusieurs mois après sa dernière mission visant à mettre un terme aux exactions de The Hand aux cotés de Daredevil et d’Elektra. Frank Castle vit aujourd’hui sous une nouvelle identité mais demeure hanté par la même monomanie. S’étant débarrassé des derniers survivants de sa croisade, l’ex-marine aurait pu choisir la même voie qu’un Bruce Wayne et combattre le crime à sa manière ; il n’en sera rien, et “Pete Castiglione” mettra un terme définitif à sa carrière de justicier et brûlera le costume de son alter-ego. L’ancien soldat au regard de fer sera contraint de sortir de son exil lorsqu’un dénommé Micro se met à le faire chanter. David Lieberman est un ancien membre désavoué du NAS qui cherche à renverser un complot auquel l’ancien régiment de Frank est lié. Une telle ouverture en la matière ne peut que décontenancer le spectateur et lui annoncer que les 12 prochains épisodes allaient marquer la lente ascension de The Punisher sur son pied d’estale.
Après une séquence d’ouverture Ennis-esque embrassant la violence graphique et viscérale que l’on associe à Frank Castle, les 45 minutes qui suivent paraissent forcées, linéaires et disparates, et semblent annoncer la torpeur dans laquelle je sombrerai dans les heures à suivre.
Je dois vous avouer que j’adore avoir tort.
Le pari n’était pas gagné d’avance pour Netflix qui, comme nous l’avons soulevé précédemment, a encaissé un semi-échec avec The Defenders et s’attaque de front à un personnage controversé qui s’est déjà vu attribué trois adaptations de mauvaise facture (Punisher, The Punisher et Punisher: War Zone). Pourtant, j’ai rarement été aussi heureux de payer mes quatre comptes Netflix et de contraindre les trois autres parasites qui pompent dessus de regarder cette série.
De prime abord, le spectateur peut être désarçonné par la lenteur de la série. Le quidam qui n’a jamais suivi Daredevil mais qui connait Frank Castle s’attend à une effusion continuelle de sang, un torrent de douilles et une montagne de macchabés, et on ne peut lui en vouloir. Cependant, le propos de la série est bien plus puissant et viscéral que toutes les exécutions du Punisher.
The Punisher est l’adaptation d’une oeuvre Marvel par Netflix la plus shakespearienne ; la vengeance chez l’auteur britannique prend la forme d’un protagoniste déséquilibré qui élabore un plan pour punir les responsables de la mort d’un être cher : une mère, un frère, etc. La formule de Shakespeare inclut l’apparition fantomatique de la victime et contraint le héros à rendre justice à sa manière. Le personnage sombre graduellement dans la folie et un subtil jeu du chat et de la souris s’installe entre ce dernier et son adversaire. Ca vous rappelle quelque chose ?
Un détail qui soutient ce point de vue est à trouver dans les livres que les personnages consultent au fil de la série. L’oeuvre la plus significative -et la plus shakespearienne- est Moby Dick de Melville. Narrant l’obsession du Capitain Achab pour le cachalot qui lui a arraché la jambe, le roman se conclut par le naufrage du navire et la mort du capitaine. Les concepts de classe et de statut social, du Bien et du Mal, de l’existence de Dieu sont tous aussi bien explorés que les interrogations du narrateur sur ses convictions et sa place dans l’univers.
Si je me permets cette longue digression sur la littérature anglo-saxonne, c’est pour révéler à quel point la forme du récit, tout autant que son fond, fait écho aux plus grandes oeuvres. Je n’irais pas jusqu’à classer la série au panthéon des moments de l’art mais elle les cotoie étroitement et transcende en ce sens les autres adaptations de Marvel par Netflix (quoi que la saison 2 de Daredevil la précède néanmoins selon moi).
Castle est dans un état quasi catatonique dans les premiers épisodes et le spectateur assiste à sa lente résurrection. Jon Bernthal est taillé pour ce rôle, il joue l’obsession, la détermination et la froideur avec une aisance époustouflante ; l’acteur n’a besoin de piper mot, tout passe par les miroirs de son âme, ses yeux. Bernthal apporte une profondeur à son personnage rarement égalé à l’écran. Nuançant l’intensité du trauma de Frank avec une chaleur et un sel d’ironie, il ne perd jamais de vue le caractère explosif de son personnage ou les démons qui continuent de le hanter.
Frank Castle refuse de s’attacher et voit l’amitié comme une autre opportunité de souffrir. Il apprécie l’effort et les bonnes attentions de son collègue Donny (Lucca De Oliveira) mais le sort de ce dernier confirmera qu’il vaut mieux faire cavalier seul dans cette aventure. Il se verra pourtant contraint de collaborer avec Micro (Ebon Moss-Bachrach), ex-agent de la NSA, lui aussi hanté par son passé. Une véritable alchimie s’opère lorsque les deux acteurs partagent leurs scènes. Il s’agit là sans aucun doute de la relation la plus captivante et la plus haletante des séries Marvel de Netflix.
De l’autre coté du spectre de la justice, on retrouve Dinah Madani, campée par la ravissante Amber Rose Revah qui incarne le rôle avec la détermination et la retenue qu’on lui connait. Rentrant d’Afghanistan, elle est obstinée par sa propre croisade visant à exposer au grand jour un complot au sein de l’armée américaine : le projet Cerberus. Personnage entièrement composé pour la série, l’attrait de Dinah Madani auprès des fans de Marvel n’en est qu’exacerbé. Si les lecteurs sont familiers avec Punisher, Micro et Russo, et leurs sorts respectifs, Dinah demeure une énigme.
Un thème admirablement exploité est le trauma de la guerre et le retour des soldats au sein de leur pays. Le troisième épisode de la série (Kandahar) explore et expose l’obscénité des conflits armés ainsi que les fractures que ces hommes et femmes subissent. Parmi les anciens camarades de Frank en Afghanistan, Billy Russo alias Jigsaw semble avoir fait un retour honorable au pays. C’est Ben Barnes qui prête ses traits et qui incarne avec beaucoup d’élégance le personnage énigmatique bien connu des lecteurs. Coté bad guys, Paul Schulze incarne le frigide et complexe William Rawlins avec un flegme dérangeant. Relevons enfin la prestation de Jason R. Moore dans le rôle de Curtis, cet ancien soldat ayant perdu sa jambe à présent reconverti en directeur de conscience pour tous les militaires rentrés traumatisés de leurs missions.
Sur la forme, The Punisher satisfait les attentes et est de même facture que ses consoeurs : léchée, extrêmement bien mixée et contemplative. Il s’agit là d’une série à écouter au casque tant l’attention portée à l’habillage sonore est impressionnant. A l’instar de la mécanique à l’oeuvre dans le crâne de Castle, les rouages des épisodes prennent corps et les ambiances se nippent de ces petites minuties auditives.
Cathartique, violente et apologétique, The Punisher manque cependant de réflexivité quant à certaines problématiques de l’ère Trump. Plusieurs épisodes, abordant frontalement le problème des armes en circulation aux États-Unis, laissent le spectateur songeur quant aux motivations profondes de Frank qui part en croisade avec, sous les bras, une armada d’armes à feu ; la série expose sans apporter de véritable résolution – du moins civile. The Punisher n’en demeure pas moins la plus libératrice et touchante des adaptations de Netflix à ce jour et annonce la seconde phase des séries à venir. A présent libérées du poids de la construction d’un univers dont l’apogée fut The Defenders, il ne nous reste qu’à espérer une seconde saison entièrement délivrée des carcans et poncifs préalables.
Welcome back, Frank.
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