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Watchmen : une oeuvre atemporelle

Au coeur d'une oeuvre atemporelle

La nouvelle édition à avoir dans sa bibliothèque !

Urban Comics sortent ce mois-ci des éditions de luxe de trois de leurs comics DC ! S’il y en a un à ajouter sa bibliothèque, sans aucune doute, c’est l’iconique Watchmen d’Alan Moore et Dave Gibbons !

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A l’occasion de la diffusion prochaine de la série Watchmen sur la chaine HBO, nous ne résistons pas au plaisir de nous replonger dans l’oeuvre originale écrite par Alan Moore, dessinée par Dave Gibbons et mise en couleur par John Higgins

Après un film signé Zack Snyder en 2009 ainsi qu’une série de comics qui narrent les vies de plusieurs personnages dans Before Watchmen, voici donc une énième adaptation de ce monument littéraire. Ajoutons à ces adaptations, celle non aboutie de Terry Gilliam qui avait lui aussi prévu une série de 12 épisodes fin des années 80. L’époque n’était pas encore aux séries et les producteurs ne crurent pas en son projet… Cependant, on trouve un autre point commun avec l’ancien Monty Python, outre la nationalité, c’est le roman de George Orwell 1984. Si Gilliam a été  fortement inspiré par cette oeuvre pour son film Brazil sorti en 1985, Alan Moore raconte qu’il a eu l’idée de Watchmen en 1984 avec une volonté d’adapter l’oeuvre d’Orwell aux temps présents. Son objectif avoué était de réaliser lui aussi une uchronie dans cette veine à la fois sombre et contestataire. Il aura donc fallu plus de 3 ans et 400 pages pour arriver au bout de son labeur et publier ce qui est encore aujourd’hui l’une des plus grandes oeuvres de science-fiction (prix Hugo 1989), l’une des plus grandes bande-dessinée de l’histoire (5ème au classement), l’un des 100 meilleurs romans selon le New-York Times. Pour rappel, le comics est sorti de septembre 1986 à octobre 1987 avec une édition compendium en 1988 et une dernière version ‘Absolute’ en 2008.

En plus de son désir de se mettre en lien avec le roman 1984, Alan Moore a aussi choisi de ressusciter de vieux super-héros de la maison d’édition anglaise Charlton Comics dont DC comics venait de faire l’acquisition avec notamment Captain Atom ou The Blue Beetle etc… Toujours dans cette idée de tradition, le tandem Moore – Gibbon a choisi la mise en page la plus classique sous la forme du gaufrier (3 bandes de 3 cases par planches), découpage que l’on a longtemps retrouvé dans la bande-dessinée franco-belge. Ils voulaient restituer une tradition dans un style et une approche résolument moderne.  

Bien entendu, le scénario de base de cette uchronie est très alléchant et plein de suspens mais vous connaissez tous ce dernier c’est pourquoi nous allons le réduire à sa plus simple expression et nous attarder plus en détail sur un série d’éléments marquants. Vous savez que les Etats-Unis ont gagné la guerre du Vietnam grâce à un être puissant, vous savez qu’il y a une menace de fin du monde, vous savez que nous suivons une enquête sur la disparition de ‘héros’. 

L’un des atouts de Watchmen réside dans la profusion de ses thématiques, non seulement abordées mais également traitées et, selon moi, sans prétention. Les auteurs nous amènent à la réflexion, nous guident en posant des questions tel Socrate. On y retrouve d’abord la peur de nombreuses fois exprimée et sous quelques variantes. En premier, la peur de la guerre, de la guerre atomique qui hante les protagonistes le long de l’histoire. En corolaire, nombre de fois est évoquée la fin de l’humanité mais non la mort de l’individu, nuance subtile mais qui reflète parfaitement les convictions politiques des auteurs : le collectif importe plus que le sujet. 

Autre thème particulièrement abordé, le temps qui passe et, par truchement, ce que nous faisons de nos vies : de grandes actions de bravoure ? Très peu en montrent l’exemple. Oeuvrer comme des gens de bien ? idem. De cette notion découle une réflexion sur le destin voire de la destinée avec cette réflexion du Dr Manhattan :

Qui a choisi ma voie ? Qui de nous est responsable ? Qui crée le monde ? (IV, 27)

Ces questions ne sont pas d’une époque selon Alan Moore puisque les Minutemen apportent en premier le sujet qui explose évidemment avec Dr Manhattan et se termine avec les Watchmen.

Naturellement, la question du bien et du mal est au centre des chapitres, parfois abordée de manière manichéenne comme avec le personnage de Rorschach, de façon tout à fait détachée avec le Dr Manhattan ou plus nuancée, avec le personnage d’Ozymandias. Bien entendu, le point de départ des groupes de justiciers était le combat contre le crime mais, aux yeux de la population et des autorités finalement, cette façon de procéder amenait d’avantage de violence, de fanatisme et finalement beaucoup de division. Il est par ailleurs particulièrement interessant de voir la société proposée et dépeinte dans cette oeuvre. Nous sommes frappés de voir à quel point cette description peut toujours se lire en parallèle avec notre époque contemporaine : course à l’argent et au pouvoir (rien de neuf depuis la nuit des temps me direz-vous), le fanatisme qui tend au radicalisme et au racisme mais surtout la large part faite à la médiatisation. Moore est particulièrement acerbe avec les chaines de télévisions et les journaux papiers (p.e. le vendeur de journal qui s’enorgueillit de connaitre le futur grâce aux unes). Ce qui est l’objet des remarques acerbes, c’est le manque de profondeur, le catastrophisme dont l’objectif final est l’argent bien entendu. Ozymandias a d’ailleurs bâti sa fortune et son plan sur la simple analyse des informations télévisuelles.

Nous retiendrons également comme fil rouge de Watchmen : le sexe. Ne vous attendez pas à voir des partouzes ou des scènes crues, loin s’en faut mais le sexe (et l’amour ?) est présent en filigrane et apporte une vraie touche novatrice dans le monde des comics de super-héros. Par exemple, Laurie Jupiter se remet de sa rupture dans le lit du Hibou (le sexe comme point de départ à l’amour ?) ; le viol et ses conséquences dévastatrices constituent un rouage psychologique fondamental pour la compréhension de l’oeuvre, l’homosexualité est également abordée soit frontalement et sans aucun jugement moral, soit au détour d’une situation, là aussi sans remarques déplacées. Bref, une sexualité qui fait partie du quotidien, n’en est-il pas autrement dans la vie ?

Le dernier thème que nous aborderons est un classique : et Dieu dans tout ça ? Force est de constater que la création du personnage du Dr Manhattan permet beaucoup d’analogie ainsi qu’une exploitation plus remarquée que dans d’autres comics, Superman par exemple qui est faillible. D’abord, comment réagit le monde en apprenant son existence ? Que fait-on quand on a Dieu de son coté ? Le monde se porte-t-il mieux ? Auquel cas, pourquoi ne fait-il rien pour le sauver ? Enfin, peut-il encore s’émerveiller de l’humanité, lui qui sait tout ? Chaque passage ou évocation du Dr Manhattan possède toujours en son sein un questionnement par rapport à Dieu, non pas que le personnage se prenne pour Dieu mais nous sommes interpellés par sa capacité, son omnipotence et son omniscience. Et nous que ferions-nous avec de tels ‘pouvoirs’ ?

Comment ce scénario poussé jusque dans les moindres détails et ses thématiques nombreuses et variées peut-il être compréhensible et lisible avec intérêt ? On touche là à l’essence même de l’oeuvre, au travail d’orfèvrerie, voire d’horlogerie suisse. Alan Moore et Dave Gibbons racontent que le travail sur le découpage a non seulement été crucial (ils le savaient d’avance) mais qu’il a nécessité plus de labeur et de sueur que tout autres parties. Le résultat tient tout bonnement du génie parce que, partant du classique, ils l’ont transformé et exploité à tel point qu’on ne sait plus dire si c’est le scénario qui est enrichi par la métrique des cases ou l’inverse. 

Les auteurs sont donc partis du ‘gaufrier’ (chaque planche se découpe en 3 bandes elles-même découpées en 3 cases). Ils ont ensuite joué avec la narration pour que, la plupart du temps, le fil des cases ne corresponde pas au fil de l’histoire mais de plusieurs histoires. Par exemple, une planche présente deux récits une case après l’autre (en quinconce et d’où l’importance de la couleur de John Higgins) et la planche qui lui fait face met en avant l’autre récit (en quinconce également). D’autrefois, de manière plus commune, deux voire trois cases d’une bande fusionnent mais toujours en miroir ou en chiasme avec la planche qui suit. Ce jeu d’architecture construit l’ensemble des récits en un édifice clair et lisible car il permet d’inclure de nombreuses strates pour une plus grande complexité du récit et des personnages. Le paroxysme de ce découpage est atteint au chapitre cinq qui offre un chiasme à la fois des récits mais également des dessins. Le centre du chapitre, lui même en miroir, est spectaculaire parce qu’il est mis en évidence par le découpage des cases mais aussi pour le coeur de l’intrigue. Grâce à cette originalité de mise en scène, les auteurs ont su jouer sur la chronologie de l’intrigue et des protagonistes et développer de nombreux ‘autres’ récits ou intrigues comme le comics du Black Freighter (pour la petite histoire, ce comics dans le comics est sorti en animé en 2009) ; l’enquête sur la mort des héros, l’enlèvement des artistes, ainsi que de mini histoires sur différents personnages. 

Outre le découpage et la mise en couleur, les auteurs ont multiplié les narrateurs : tantôt le lecteur lit le journal de l’enquête de Rorschach, le journal intime et professionnel d’un psychiatre voire, la mise en abime est surprenante, lit un comics qu’un personnage est en train de lire. Les auteurs ont également multiplié les médias puisque 4 pages de roman entrecoupent chaque chapitre de 28 planches. On y retrouve tantôt les mémoires d’un des Minutemen, un dossier psychiatrique, un article d’une revue d’ornithologie tantôt une étude marketing de produits cosmétiques. C’est déroutant et ça peut laisser perplexe mais rien n’est laissé au hasard, chaque élément enrichit et les récits et les thématiques tout en restant fluide pour le lecteur. 

Nous terminerons par une courte évocation des personnages qui, vous l’aurez compris, sont complexes, nombreux et participent, au travers de leur destinée ou de leur pensée, au grand tout du monde. 

Chronologiquement, le monde de Watchmen a d’abord vu naitre une première génération de justiciers fin des années 30 (au lendemain des premiers comics de papiers) : les Minutemen. Si certains ne sont pas de grande utilité pour l’intrigue (Alan Moore voulant surtout faire écho aux héros de la maison d’édition Charlton Comics), d’autres sont des acteurs importants voire majeurs. On pense évidemment à The Comedian qui sera l’un des liens avec la génération suivante que sont les Watchmen (qui n’auront vécu qu’un seul jour comme ensemble). Le personnage The Comedian – qui commence et clôture l’oeuvre – est riche et ambivalent. C’est un justicier fort, malin et intègre mais violent et désabusé. En réalité, il est très peu attachant jusqu’au dernier chapitre. C’est ce qui est assez marquant d’ailleurs dans Watchmen : le déficit d’empathie du lecteur pour les héros – Rorschach mis à part. Sont-ce les héros le centre de l’histoire ? Le but recherché par Alan Moore est, à nouveau, mettre en avant l’humanité dans son ensemble plutôt que les individus. C’est d’ailleurs ce que les protagonistes vont reprocher à Rorschach, lui qui lutte viscéralement contre les injustices individuelles : son manque de vision globale (c’est assez normal pour quelqu’un qui porte un masque). En dehors de ces personnages de ‘justiciers’, Watchmen, multiplie les personnages secondaires voire les silhouettes qui reviennent à plusieurs reprises. On pense ici notamment au vendeur de journaux, au psychiatre ou au couple lesbien. Il sont mis en avant comme symbole de l’humanité, celle qui a le plus à perdre, (d’ailleurs ils meurent tous) et qui patauge quand même pas mal, incapable de prendre sa destinée à bras le corps un peu comme aujourd’hui avec la question climatique. Car oui, l’avenir est sombre, la fatalité avance à grand pas et pèse sur la conscience de chacun de nous. Faut-il sauver cette humanité plus prompte aux vices qu’aux vertus ? L’histoire de l’Homme n’est-elle pas un éternel recommencement ?

On ne sort pas indemne d’une telle lecture mais n’est-ce pas le propre de l’art ? N’est-ce pas non plus le propre de l’art de se donner totalement à la première rencontre ? Nous pourrions encore multiplier les éléments dignes d’intérêt et les développements mais il nous faudrait d’avantage qu’une chronique pour bien parler de cette incroyable concaténation de sujets. Avant de vous quitter, il me plait de vous partager un avis publié dans un magazine spécialisé à l’occasion de la sortie du film (mea culpa, j’ai oublié le nom du rédacteur) et qui se terminait par ceci :

Quand vous aurez terminé la lecture de Watchmen, vous saurez qu’il y a un avant et un après, alors faites-en l’expérience.

Je la complèterai en vous disant : « Lisez-le encore » c’est toujours d’actualité.

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