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Après avoir parcouru l’histoire de l’auteur canadien Jeff Lemire dans un premier numéro, nous voici partis pour de bon pour analyser le style de cet auteur. Dans ce deuxième numéro de Into the Writer-Verse of Jeff Lemire, nous vous proposons d’analyser un premier aspect, qui concerne plus particulièrement le scénario et auquel Jeff Lemire a souvent recours dans sa façon de raconter les histoires : les histoires parallèles.
Qu’entend-on par “histoires parallèles” ?
Avant toute chose, il est utile de se situer par rapport au terme d’histoires parallèles. Qu’englobe ce terme et que veut-il dire ?
On parle d’histoires parallèles lorsque la structure narrative se penche sur deux ou plusieurs récits ayant pour point(s) commun(s) un personnage, un évènement et/ou un thème. Parfois aussi appelés récits parallèles ou récits non linéaires, il s’agit d’une méthode de narration de plus en plus répandue depuis quelques années et qui peut prendre plusieurs formes.
En effet, tant qu’il existe deux histoires (ou plus) et que celles-ci ont un point en commun et qu’elles servent à une narration plus globale dans une même oeuvre, on parlera d’histoires parallèles, quand bien même la forme qu’elles prendraient. Ces histoires peuvent s’alterner de page en page, de chapitre en chapitre, voire de livre en livre ; elles peuvent suivre des personnages différents, des époques différentes (fort éloignées ou même très proches) ou même différentes perceptions de la réalité.
Jeff Lemire est l’un de ces auteurs qui maitrise ce type de narration à la perfection et il n’hésite pas à en faire l’usage dans une grande majorité de ses comics. Lemire ne tombe pas non plus dans le piège d’utiliser le même type de format à chaque fois et a déjà utilisé le principe d’histoires parallèles dans toutes ses formes, que nous vous proposons d’analyser ensemble ci-dessous.
Passé et présent
L’une des utilisations les plus courantes des histoires parallèles est la présence de deux timelines distinctes, ou plus précisément deux moments précis de la timeline auxquels on retrouve le ou les mêmes personnage(s). Typiquement, cela prendra la forme de flashbacks.
Ce n’est donc pas surprenant de voir Jeff Lemire utiliser les flashbacks comme moyen scénaristique afin de développer les personnages de son histoire et/ou l’histoire en elle-même. C’est ce qu’on retrouve par exemple dans le comics Descender de l’auteur. Le lecteur se retrouve à suivre une histoire située dans un présent et des flashbacks viendront expliquer ponctuellement le passé d’un personnage au fur et à mesure que la trame scénaristique avance. Méthode de plus en plus populaire afin de casser une histoire trop linéaire, l’utilisation des flashbacks en est devenu un art que Jeff Lemire maitrise à la perfection, au point de parfois suivre le temps présent et le passé sur deux planches en vis-à-vis, pouvant ainsi observer le parallèle entre ce qui se déroule sous nos yeux et ce qui s’est passé au préalable. Le tout est facilement reconnaissable grâce à une palette de couleurs différente utilisée par le dessinateur Dustin Nguyen.
Cette méthode d’opposition entre passé et présent peut aussi être trouvée de manière assez prononcée, et peut-être même encore plus poussée, au sein du comics Marvel All-New Hawkeye, écrit par Lemire et dessiné par Ramon Pérez. La différence de dessin entre présent et passé va être encore plus marquée, voyant des dessins à l’aspect plus crayonné pour le passé, avec une palette de couleurs très vives et associées au dessin de manière aléatoire, donnant un aspect arc-en-ciel. Au niveau du scénario, l’opposition du passé et du présent, parfois même au sein de la même planche, permet de démontrer le parcours de Hawkeye, qui revit son enfance à travers son mentorat de Kate Bishop. Cette méthode permet un approfondissement du personnage inédit, qu’un scénario linéaire ou des flashbacks standard ne pourraient apporter.
Dans la mini-série de DC Comics Robin & Batman, dessinée à nouveau par Dustin Nguyen, on remarquera une utilisation plus subtile des flashbacks. Racontant une histoire dans le passé de Batman et Robin – en l’occurence la formation du jeune Dick Grayson par Batman – le comics permet déjà de comprendre davantage la relation entre les deux justiciers en abordant une période peu détaillée. De plus, cette histoire, qui a déjà une allure de flashback en elle-même, inclut elle-même des flashbacks de temps à autre. Ceux-ci sont alors exprimés sous forme de songes de Robin, qui se mêlent à la réalité et permettent là aussi d’éclairer la direction de l’intrigue. Ces flashbacks subtils semblent d’autant plus utiles pour mettre en avant l’aspect détective du jeune Robin.
Enfin, terminons ces exemples d’histoires parallèles liées à la timeline avec The Question: The Deaths of Vic Sage. Histoire relativement complexe, cette mini-série a un récit qui retourne progressivement en arrière plutôt que d’aller vers l’avant comme le récit linéaire traditionnel. Le récit se déroule au fur et à mesure au point de voir les timelines et sous-intrigues se relier pour n’en former qu’une. C’est le style d’histoire impossible à expliquer en deux mots et qu’un résumé ne refléterait en aucun la qualité du scénario.
Réel et mental
Un autre cas classique d’histoires parallèles est de mêler le réel et les productions mentales, une méthode qui prend bien plus souvent la forme d’hallucinations d’un personnage. Cela peut être relativement simple, comme dans Bloodshot Reborn, où le personnage de Bloodshot revit son passé à travers les hallucinations de deux personnages qui le suivent constamment. Bien que bien réalisé et rendant l’histoire prenante, c’est ici le cas classique des hallucinations qui font douter le lecteur, amenant à se poser la question de ce qui est une hallucination et ce qui ne l’est pas, ou bien si le personnage aurait agi de la même manière sans les hallucinations. On peut ainsi presque parler d’histoires parallèles extrêmement proches : celle sans les hallucinations et celle avec. De plus, il est aussi à noter que les deux personnages qui apparaissent sont dessinés par Nico Suayan avec des styles de dessins différents l’un de l’autre mais aussi différents de l’histoire principale, ce qui accentue qu’il s’agit de personnages provenant de deux souvenirs différents.
Ce concept de passé ancré dans le présent à travers des hallucinations, on le retrouve aussi d’une manière plus complexe dans le comics indépendant de Jeff Lemire Royal City. Dans ce comics qui traite de deuil, les différents membres d’une famille subissent tous des hallucinations du plus jeune frère de la fratrie, décédé plusieurs années auparavant. Cette façon de raconter est intéressante car les différents membres de la famille voient en réalité chacun le frère décédé dans une version différente propre à chacun. Ceci permet d’en apprendre à la fois davantage sur chaque personnage mais aussi sur le personnage de Tommy, qu’on voit à des âges différents, rejoignant ainsi aussi le concept d’histoires parallèles en terme de moments différents sur la ligne du temps.
A côté de ce genre de concepts, il est vrai que les hallucinations sont bien souvent associées à la folie. C’est ce qui est notamment abordé plus en profondeur dans la mini-série DC de Lemire et l’artiste Andrea Sorrentino, Joker: Killer Smile. En résumé très grossier, la mini-série suit un psychiatre qui commence à s’occuper du Joker à l’asile d’Arkham et devient lui-même fou. On est aussi dans ce genre d’histoire où le lecteur commence à douter de ce qui est réel et ce qui ne l’est pas, d’autant plus que les hallucinations prennent parfois la forme d’une histoire pour enfants que le personnage principal peut tenir en main. Sans dévoiler toute l’intrigue, ce fil conducteur de l’histoire de Mr Smiles, permet de dévoiler au fil de l’intrigue ce qui est dans la tête du médecin et ce qui est réel. Il s’agit là de véritables mind games de la part du plus grand psychopathe de l’univers DC, le Joker, qui voit parfois le lecteur immergé dans l’histoire pour enfants, avec un style de dessin bien distinct réalisé par Sorrentino.
Il existe aussi bien un exemple où réel et irréel ne s’entremêlent pas mais évoluent bien distinctement, comme des histoires purement parallèles. Comics qui fut une inspiration majeure pour la série Disney+ du même nom, Moon Knight voit le personnage de Marc Spector enfermé dans un asile psychiatrique, ne se rappelant plus être le super-héros Moon Knight. C’est dans ses rêves que Spector se transforme en Moon Knight puis même en un nouveau personnage, Mr Knight, voyant ce qui s’avère être des personnalités multiples évoluer dans leurs propres récits parallèles. L’histoire de Moon Knight, fortement ancrée dans la mythologie égyptienne, voit, une fois n’est pas coutume, un changement radical des styles de dessin pour différencier les personnages, apportant des dessins dans un environnement spatial avec une palette de couleurs plus vives et variées.
Cependant, parfois il ne faut pas aller jusqu’à avoir des personnalités multiples pour avoir des histoires parallèles, il suffit simplement d’avoir différents personnages protagonistes.
Entremêlement de personnages
On parle typiquement d’entremêlement d’histoires parallèles lorsque plusieurs personnages vivent leurs histoires respectives avant de voir ces histoires fusionner. Il s’agit d’une méthode de narration qui n’est certainement pas neuve et reste un grand classique, mais il existe différentes manières d’appliquer cette méthode, d’autant plus quand on parle d’oeuvres graphiques.
C’est par exemple ce genre de méthode classique qui est utilisée à la perfection dans l’une des oeuvres les plus connues de Jeff Lemire : Sweet Tooth. Si la méthode est utilisée différemment dans la série Netflix adaptant le comics, elle n’est certainement pas inconnue à l’oeuvre originale. La série suit d’abord le personnage de Gus mais suit ensuite le personnage de Jepperd au moment de leur rencontre, au point d’en faire un des deux personnages principaux du comics, avec un focus sur Jepperd bien plus important que dans la série Netflix.
Avec une introduction plus rapide, il est aussi intéressant de souligne rles histoires parallèles de la mini-série Plutona, co-écrite et dessinée par Emi Lenox. L’histoire suit cinq enfants qui découvrent le corps sans vie d’une super-héroïne, Plutona. Avant que l’histoire débute, les quelques planches suivent les personnages individuellement, et Emi Lenox a pris le soin de donner un code couleur différent à chaque personnage, permettant d’avoir quelques planches en vis-à-vis avec un résultat original.
Il est aussi possible d’avoir des histoires parallèles qui vont au-delà du simple entremêlement. Un bel exemple de jonglage entre plusieurs personnages est Extraordinary X-Men, écrit par Lemire et dessiné par Humberto Ramos. Débutant par un entremêlement typique d’une histoire sur une équipe de super-héros, où les divers héros éparpillés se réunissent dans un but commun, Lemire utilisera à la perfection la méthode des histoires parallèles au fil du scénario, permettant au lecteur de suivre les personnages en même temps alors qu’ils se trouvent à des endroits différents.
Enfin, terminons avec un exemple plus atypique d’histoires parallèles sur différents personnages. La trilogie Essex County se centre sur trois personnages différents, un par roman graphique. Ce sont pourtant bel et bien des histoires parallèles dans le sens où elles sont dans la même continuité et la même ville. Chaque histoire vient apporter du contexte aux deux autres et, alors que chaque roman graphique pourrait être lu séparément, c’est bien lire les trois qui est la seule façon d’avoir une image complète de l’histoire.
Qu’il s’agisse d’alterner les personnages, les lignes du temps ou les dimensions, Jeff Lemire a fait de la narration en histoires parallèles sa spécialité. Cette méthode de narration se retrouve dans beaucoup de ses oeuvres et on aurait pu vous citer encore plein d’autres exemples. Bien sûr, les histoires parallèles ne définissent pas à elles seules le style de Jeff Lemire, et c’est pour cela qu’on se penchera sur un autre aspect dans un mois, en analysant la présence du thème de la paternité dans les oeuvres de l’auteur canadien. En attendant, on se retrouve la semaine prochaine pour vous dresser une sélection des comics primés de Jeff Lemire. Soyez au rendez-vous !
Parcourez les comics présentés dans cette analyse
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(Re)lisez le premier numéro d’Into the Writer-Verse of Jeff Lemire :
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6 thoughts on “Jeff Lemire, maitre des histoires parallèles – ITWV of Jeff Lemire 2/9”